Témoignage recueilli par Diane: SARA ALAMIRI

Contexte : Sara Alamiri, 23 ans, vit à Alep, en Syrie. Elle poursuit des études et travaille en parallèle comme enseignante.

Sara, peux-tu te présenter en quelques mots ?

Je m’appelle Sarah. J’ai 23 ans. Je suis des études de lettres en arabe. Je devais obtenir ma licence il y a deux ans mais j’ai dû reporter ma scolarité. Nous sommes une famille de 5 enfants, nous avons une mentalité très ouverte dans notre famille, nous travaillons tous. Le travail me permet de forger ma personnalité. Je suis indépendante depuis l’âge de 18 ans. Je sors, je vois des amis, je vois ma famille. Nous sommes une famille très unie, nous prenons soin les uns des autres. Une de mes sœurs est en Norvège. Elle est mariée et elle a deux enfants mais je leur parle uniquement par whatsapp. Ses enfants font partie intégrante de ma vie, je garde l’espoir de les revoir un jour.. Mais quand, je ne le sais pas !

Peux-tu me parler de ton quotidien pendant la guerre ?

Quand j’étais en seconde, j’avais une vie la plus normale du monde. Je sortais avec mes amis, nous allions au lycée. Un jour, j’ai fermé les yeux. Je me suis retrouvée à la rue, sans abri, au milieu d’une foule de gens déplacés qui hurlaient leur détresse. Je n’ai pas compris ce qui était en train de se produire en Syrie. Et je n’avais aucune idée d’où cela allait nous mener.

La guerre a commencé.

Je me compare avec une personne qui avait la vue et qui l’a perdue du jour au lendemain.

Je viens d’une zone de guerre dangereuse, une ligne de front. Nous avons été pris entre deux feux. Bombardements et missiles rythmaient notre quotidien. J’ai vécu une partie de mon adolescence, sans mazout ni rien pour se chauIer. Mon oncle nous apportait des rondins de bois pour que nous

puissions nous réchauIer et je passais mon temps à m’occuper du feu. J’ai rapidement pris les choses en main et j’ai tenu le rôle de la femme forte au sein de la famille.

Quand un missile tombait à côté de chez nous, je rassurai constamment les miens et je faisais preuve d’humour. Quand mon père se rendait à son travail, je lui disais : “je m’occupe de tout !” Je n’allais pas à l’école, il n’y avait rien à faire, mon seul passe temps était de couper le bois et de m’amuser avec. Je me souviens que c’était mon moment de défoulement, je déchargeais mon stress.

J’ai vécu la guerre avec mon cœur qui battait au rythme du son des missiles. J’avais constamment la peur au ventre. Je suis passée par toutes les étapes et je crois qu’il n’y a pas pire que d’être réveillée en plein milieu de la nuit, avec toute sa famille, par les déRagrations et les bombardements. Ta famille, tes frères et sœurs pleurent et toi, tu te dis qu’il faut prendre les choses en main. J’étais terrorisée….

Nous avions peur de chaque missile. Est-ce qu’il allait tomber sur notre famille, nos voisins, nos amis ? Je me demandais chaque jour quel mort on allait encore nous annoncer, quel femme allait devenir veuve, quel enfants orphelins ? Combien de personnes allait se retrouver dans la rue ?….

J’ai encore une phobie aujourd’hui liée aux bruits des balles et des bombardements. Le moindre bruit me stresse. Tu déplaces une chaise à côté de moi et je sursaute.

Il n’y a pas pire que d’entendre le son du missile et d’attendre, de se demander si son heure est venue. Il n’y a pas pire que de devoir traverser la rue qui chaque jour te mène à l’université avec un sniper qui t’attend, son fusil pointé sur le satellite de ton immeuble parce que, pour lui, c’est un jeu. Oui, pour lui, c’était un jeu et pour moi, cela a été un enfer.

Je passais souvent par la porte d’entrée de la voisine pour éviter notre rue. J’étais terri1ée quand je devais rentrer de l’université à ma maison. Je me demandais si pendant mon absence, un membre de ma famille avait été touché.

Le chemin pour rentrer chez moi, c’était l’inconnu. Une fois rentrée, je serrai ma mère dans mes bras. Elle était mon réconfort et ma force. Nous avons vécu les périodes les plus sombres ensemble.

Je me souviens du jour où je suis sortie de l’immeuble avec mon père et où le sniper a tiré. Mon père a traversé la rue en courant et m’a demandé de l’attendre. Je ne pouvais pas imaginer le laisser seul alors j’ai couru vers lui de toutes mes forces, les balles si aient autour de moi. Je suis tombée dans ses bras en pleurant, nous nous sommes assis tous les deux et nous avons attendu.

Ce jour-là j’ai décidé de prendre courage à deux mains, de me faire violence, j’ai réalisé que je devais dépasser ma peur et je suis partie directement à l’université. J’ai eu envie de faire quelque chose de ma vie. J’ai la conviction depuis que je suis jeune que je suis destinée à accomplir des choses. Je veux avoir ma place dans la société.

A 16 ans, je me suis mise à chercher du travail. Je voulais aider. J’ai cherché pendant un moment. Les jours passaient semblables les uns aux autres : bombardements, morts…

Je ne supporte désormais plus la vue du sang. Ma voisine a un jour reçu un tir de sniper. Je n’ai rien pu faire ce jour-là pour l’aider. Je me suis sentie impuissante. J’aurais pu tenter de faire quelque chose mais je n’y suis pas arrivée. Je l’ai regretté.

J’ai décidé de commencer à travailler dans des opérations de secours : j’aide les gens, nous allons dans des quartiers sensibles pour leur apporter à manger. Je vais à la rencontre d’enfants qui n’ont vécu que la guerre.

Je leur donne de la tendresse, je les soutiens et je les accompagne.

Quand je rencontre un enfant, je me demande toujours ce qu’il ressent, ce qu’il a vécu. Cela me ramène à ce que j’ai vécu. Je hais la guerre, je hais tout ce que j’ai pu entendre et pourtant je suis maintenant plus âgée. Je me demande toujours comment les enfants peuvent le supporter.

Ma mission, mon objectif de vie, c’est l’enfance. Les enfants sont au centre de ma vie. Je veux leur apporter con1ance en eux et sécurité. Certains n’ont plus de parents, j’essaie de leur apporter un peu de chaleur.

Cela a été un dé1 pour moi de travailler comme volontaire, je l’ai pris comme un challenge à relever. Je suis passée par des moments d’échecs. Mais je me 1xe des objectifs depuis ma plus tendre enfance. Même si la guerre a pris une partie de ma vie, je persévère.

Le plus di cile pour moi est de m’endormir aujourd’hui en me disant que des enfants à quelques rues de chez moi meurent de faim et de froid. Dans la rue, je ne mange jamais de sandwich de peur de croiser le regard d’un enfant qui a faim. C’est devenu un cauchemar pour moi de sortir de chez moi et de ne voir que désolation,  misère et souIrance quotidienne.

A la fin de la guerre, je me suis juré de prendre soin de l’enfance, de mériter leur confiance.

J’espère revoir le sourire sur le visage des enfants. Je garde espoir.

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